L’exposition « Fugitifs » s’arrête sur le Chemin des Cantons

Le Musée d’histoire de Sherbrooke (Mhist) accueille jusqu’au 17 avril 2022 l’exposition « Fugitifs » qui met en lumière des personnes esclavisées afro-descendantes et leurs actes de résistance au Québec à la fin du 18e siècle. Imaginée par l’artiste et passionné d’histoire Webster, cette exposition redonne une humanité et un visage aux personnes ayant subi l’esclavage. À l’occasion du Mois de l’histoire des noirs, la présentation de « Fugitifs » au Mhist, une étape du Chemin des Cantons, s’avère d’autant plus importante qu’elle révèle une part de l’histoire du Québec encore méconnue. Pour aller encore plus loin, nous en avons fait la visite en compagnie d’Aïssé Touré et Angélique Goguen-Couture, fondatrices de la communauté BlackEstrie, et de Marie-Ève Gingras, coordonnatrice à la diffusion au Mhist.

De gauche à droite : Aïssé Touré, Marie-Ève Gingras et Angélique Goguen-Couture

L’art au service de l’histoire

L’exposition « Fugitifs » mélange habilement l’histoire et les arts visuels : à partir de descriptions issues d’avis de recherche publiés à la fin du 18e siècle dans la Gazette de Québec et de Montréal, treize personnes esclavisées fugitives ont été illustrées par neuf artistes professionnels. Ces portraits avec les reproductions des avis de recherche de l’époque sont complétés par des codes QR menant vers la plateforme fugitifs.ca où on trouve de l’information supplémentaire sur chacun d’entre eux et elles. Qu’on regarde les portraits en tant qu’œuvres d’art ou qu’on s’attarde plus aux textes, « Fugitifs » offre une vision sensible et humaine des personnes ayant subi l’esclavage au Québec. Marie-Ève Gingras précise d’emblée que « le musée a décidé d’accueillir l’exposition dans l’optique d’entamer une discussion collective sur cette portion de l’histoire moins glorieuse, mais qui fait partie de notre passé et dont il faut absolument parler ».

Afin que la communauté s’approprie l’exposition, le Mhist a travaillé avec le programme d’art de l’école Mitchell à Sherbrooke. Des jeunes de secondaire 1 ont été invités à réaliser le portrait d’une personne esclavisée en fuite à partir uniquement de l’avis de recherche pour celle-ci. Le résultat est saisissant et émouvant : on retrouve les caractéristiques principales décrites dans l’avis comme des yeux tristes, des marques de variole ou un tissu blanc sur la tête, mais les élèves ont représenté chaque personne à leur façon et en « plusieurs teintes », comme le souligne Angélique Goguen-Couture.

Le Mhist a aussi demandé à la poète sherbrookoise Riziki Mkandama de créer un texte poétique, un slam, pour donner une voix à l’une des personnes illustrées. L’artiste a choisi de prendre parole pour Beth, une femme enceinte qui cherchait probablement à soustraire son enfant de l’esclavage. « Riziki interprète vraiment bien, c’est vraiment très émouvant. En tant que personne noire, tu te mets à sa place, tu te mets dans le contexte » commente Aïssé Touré tandis que Marie-Ève Gingras rapporte avoir « des frissons » chaque fois qu’elle l’écoute.

L’importance de la représentation

Au Canada, on pratiquait davantage l’esclavage domestique, le climat ne permettant pas l’exploitation de grandes plantations comme au Sud, ce qui a limité le nombre de personnes esclavisées sur le territoire (tout en ne diminuant pas la gravité et la cruauté de cette pratique, bien entendu). N’ayant pas la force du nombre, le seul moyen de contestation de ces personnes face à leur condition était la fuite. « Cette exposition représente des résistants et résistantes », tient à préciser Marie-Ève Gingras : « C’était un acte de résistance, même s’ils avaient peu de chance de s’en sortir. Plusieurs ont fui à de nombreuses reprises, jusqu’à une dizaine de fois pour certains. »

« Fugitifs » est donc une exposition vraiment inspirante. Jeunes, adultes, hommes, femmes… il est facile de se laisser emporter par les récits présentés puisqu’on retrouve dans une certaine mesure une partie de soi : « Quand je vois une famille, ça me touche toujours, et là en plus j’ai lu leur description… » mentionne notamment Aïssé Touré à propos du portrait de Robin, Lydia et Jane. Elle compte d’ailleurs amener son fils visiter l’exposition pour qu’il puisse découvrir le parcours des personnes représentées : « ce sont des héros qui lui ressemblent, ce sont des résistants qui lui ressemblent », ajoute-t-elle.

La communauté noire dans les Cantons-de-l’Est

Pour l’équipe du Mhist, il était impératif de tenter de répondre à la question : qu’en est-il de la présence de personnes esclavisées dans les Cantons-de-l’Est? Des pistes de réponses et des hypothèses sont proposées au public (pas le choix d’aller visiter l’exposition pour les connaître!), tout comme une mise en contexte générale de l’esclavage au Québec. Toutefois, pour en savoir plus sur l’histoire des communautés noires dans la région, on vous invite à aller voir l’exposition « Histoires des personnes noires dans les Cantons-de-l’Est » créée par le Centre de ressources des Cantons-de-l’Est (Eastern Township Ressource Centre) et présentée sur le campus de l’Université Bishop’s et en ligne, en français et en anglais. Les deux fondatrices de BlackEstrie ont d’ailleurs contribué à cette exposition tout à fait complémentaire à la présentation de « Fugitifs » au Mhist.

Aperçu de l’exposition « Histoires des personnes noires dans les Cantons-de-l’Est » sur le campus de l’Université Bishop’s.

 « On dit que c’est difficile d’avoir des choses pour la communauté noire, surtout dans les Cantons-de-l’Est, et là au musée, on a une exposition qui raconte notre histoire, qui n’est pas connue, mais qui s’est passée ici, au Québec » commente Aïssé Touré à la suite de sa visite, en invitant tout le monde à aller la voir. « On ne peut pas changer le passé, on ne peut pas changer le futur non plus, mais le présent, on peut faire une différence », ajoute Angélique Goguen-Couture à propos de l’impact de l’exposition et des efforts faits pour bien mettre en contexte les sources historiques présentées. Certainement, « Fugitifs »  permet autant d’ouvrir la porte sur une part occultée de notre histoire collective que de créer de l’empathie envers l’autre, qu’il nous ressemble ou non.

L’exposition « Fugitifs » est à voir jusqu’au 17 avril au Musée d’histoire de Sherbrooke. Pour avoir des idées d’activités et de lieux à découvrir autour de cette étape du Chemin des Cantons, consultez la section de notre site web consacrée à la région de Sherbrooke.

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